Au moment où l’Ecole nationale d’administration fête ses soixante ans, il n’est pas inutile de rappeler que, de fait, la France dispose en réalité de deux écoles d’administration, deux rivales qui se disputent depuis 1945 les meilleures places dans l’administration et les entreprises publiques : l’ENA et l’école polytechnique.
Toutes deux, en effet, donnent accès direct, à l’issue d’une compétition pour les meilleurs rangs de sortie, aux grands corps de l’Etat : Inspection des finances, conseil d’Etat et cour des comptes pour l’ENA ; corps des mines, corps des télécoms et corps des ponts-et-chaussée pour l’école polytechnique. Aux énarques les finances, aux polytechniciens l’industrie, dans le système d’économie mixte, très largement administrée, qui avait été choisi lors de la reconstruction d’après la seconde guerre mondiale. Ainsi, les anciens inspecteurs des finances « pantouflaient » (quittaient le service public pour passer dans le privé) dans les grandes banques (Michel Pébereau à BNP PARIBAS ; Daniel Bouton à la Société générale) tandis que la SNCF, EDF/GDF et nombre de grandes entreprises industrielles formaient le débouché naturel et imprenable des X.
Cependant, le partage n’a jamais été paisible, et la rivalité entre ces deux prestigieuses écoles n’a pas cessé : on en parlait encore lors de l’affrontement Elf / Total, la première dirigée par l’inspecteur des finances, ancien énarque, Philippe Jaffré, la seconde dirigée par le X-Mines Thierry Desmarets.
Quel avenir, aujourd’hui, pour cette haute administration française ? Elle n’est plus à l’abri des puissantes transformations qu’entraînent la mondialisation, et elle paraît ne plus exercer la même fascination. L’ENA est aujourd’hui délocalisée à Strasbourg (qui l’aurait cru ?), son budget âprement débattu – les X trouvent des carrières plus rapides et incomparablement plus rémunératrices dans la finance d’outre-manche ou d’outre rhin. Conscient de ces difficultés, l’Etat réfléchit d’ailleurs à une réforme de la haute fonction publique, qui donnerait un cadre général à ces fonctionnaires répartis aujourd’hui dans des centaines de statuts particuliers, qui freinent la mobilité ; qui permettrait des passages plus faciles du privé au public et du public au privé ; et enfin, à des rémunérations plus intéressantes et plus incitatives. Affaire à suivre, donc.